Emiliana a rejoint l’équipe de PBI en 2023 dans le cadre d’un stage mené en parallèle de ses études en relations internationales à l’Université de Genève. Activiste d’origine colombienne, elle est fortement engagée sur les enjeux socio-climatiques, notamment en tant que co-fondatrice de Latinas por el Clima. Découvrez son parcours et ses aspirations dans cette version complète de l'interview parue dans le dernier numéro de Facing Peace.
Comment est né ton désir de te battre en faveur de l’environnement et de la justice sociale?
En grandissant dans un pays profondément inégal comme la Colombie, où le classisme et les discriminations structurent la société, j’ai été façonnée par un environnement où agir était une responsabilité. Mon père, très impliqué dans les luttes pour la paix, m’a transmis une conscience et une responsabilité sociale qui ont été une inspiration jusqu’à présent. Plus tard, lors du «Paro Nacional», les injustices du système oligarchique colombien n’avaient jamais été aussi claires, tout comme l’importance d’agir. «Que el privilegio no te nuble la empatía» (ne laisse pas les privilèges entraver ton empathie) a été une phrase symbolique, qui a marqué cette période de violence et de profondes inégalités sociales. Cette expérience a renforcé mon engagement et a également été déterminante dans ma politisation. Avec une belle-mère militante pour les droits des femmes et les droits sexuels et reproductifs, j’ai aussi intégré l'importance des luttes féministes dans ma compréhension des injustices globales.
Mon militantisme environnemental a vraiment émergé en 2019, lors des feux en Amazonie, et s’est affirmé lorsque j’ai travaillé pour la ratification de l’Accord d’Escazú – pour moi, c’est le tipping point qui m’a menée à tout ce que j’ai fait jusqu’à présent. J’y ai compris que les droits humains et l’environnement sont profondément liés, et que l’on ne peut défendre l’un sans parler de l’autre. Les défenseurs·euses de l’environnement, en particulier en Colombie, risquent leur vie tous les jours dans cette lutte. En 2024, la Colombie reste malheureusement le pays le plus dangereux pour eux, avec des meurtres, des menaces et des violences systémiques.
Cet engagement m’a également menée à co-fonder Latinas for Climate (@latinasporelclima), pour lier les luttes de genre et de climat, toujours avec une vision intersectionnelle et représentative du Sud global. C’est pendant la campagne pour Escazú qu’avec les autres fondatrices, nous avons vu la déconnexion entre les mouvements climatiques du Nord et ceux du Sud. Cette déconnexion, particulièrement sur les questions de responsabilité et d’impacts laissés de côté, devrait pourtant être au centre des discussions. Nous avons aussi constaté l’importance cruciale de la représentation, notamment dans les espaces internationaux et de prise de décision, pour garantir que les luttes du Sud soient entendues et respectées.
Être activiste en Suisse ou en Colombie, même combat?
Pas tout à fait. En Colombie et en Amérique latine, être activiste, qu’il s’agisse de défendre les droits sociaux, les territoires ou l'environnement, est extrêmement dangereux. Les défenseurs·euses des droits humains et de l’environnement risquent leur vie en défendant la vie. En 2024, la Colombie reste malheureusement l’un des pays les plus dangereux au monde pour les défenseurs·euses des droits humains, avec des meurtres, des menaces et une violence systémique visant à faire taire ceux qui protègent les écosystèmes, les communautés et les droits des peuples autochtones et des communautés locales. Cependant, ces risques sont aussi amplifiés par les couches d’inégalités qui structurent le pays: cette stratification ajoute une complexité supplémentaire à la lutte, mais elle souligne aussi l’urgence d’agir depuis notre privilège.
En Suisse, le combat est différent, mais tout aussi important. Il ne s’agit pas de risques directs pour la vie (bien que l’on observe une diabolisation croissante des militant·e·s, avec des mesures de plus en plus répressives), mais de combattre un système qui, à distance, finance et soutient l’extractivisme et la destruction socio-environnementale. Les institutions financières suisses, ainsi que de nombreuses multinationales basées en Suisse, sont directement impliquées dans ces dynamiques de menace et d’exploitation à l’échelle mondiale.
Agir depuis le Nord global est essentiel pour responsabiliser ces acteurs et changer les dynamiques qui mettent en danger les défenseurs·euses du Sud global. En Suisse, nous avons à notre disposition des outils et des mécanismes pour faire reconnaître la responsabilité directe et indirecte de la Suisse dans ces injustices, notamment à travers le rôle de ses multinationales et de ses banques dans le financement de projets extractivistes ou de violations des droits humains. Les coûts pour défendre la vie sont bien différents ici, et c’est précisément pour cela que, depuis la Suisse, nous devons agir plus que jamais!
Qu’est-ce qui t’a le plus marquée durant ton stage?
Ce qui m’a le plus marquée pendant mon stage, c’est la richesse des rencontres avec les défenseurs·euses des droits humains venant de différentes régions du monde, mais en particulier du Honduras car plus jeune j’avais suivi de près l’affaire de Berta Cáceres, qui reste une immense source d’inspiration et un moteur pour mon engagement.
J’ai également découvert l’importance du plaidoyer auprès de l’ONU. En tant qu’étudiant·e·s en relations internationales, nous avons souvent une perception floue de cette institution. Ce stage m’a surtout permis de confirmer que, plus que l’ONU elle-même, c’est la présence et la participation de la société civile dans ces espaces qui sont essentielles. J’ai toujours cru que la société civile joue un rôle indispensable, et ce stage m’a montré concrètement comment elle peut influencer les décisions globales, exiger des comptes et amplifier la lutte des défenseurs·euses de l’environnement et des droits humains, qui sont souvent exclus des espaces de pouvoir.
Finalement, j’ai aussi appris à comprendre l’importance stratégique du financement des ONG. On romantise souvent le travail social, humanitaire et militant, mais ce stage m’a montré que les luttes ne peuvent perdurer sans les ressources nécessaires. À travers mes missions en recherche de fonds, j’ai découvert le fonctionnement des financements publics et de la coopération internationale. Avec Latinas por el Clima, comme pour toutes les organisations dans ce domaine, nous faisons face au même défi. Cependant, je n’avais jamais eu l’occasion de travailler dans le “vrai” fundraising, au sein d’une organisation. Ces apprentissages ont non seulement enrichi ma formation académique en relations internationales, mais aussi renforcé mes compétences pratiques. Cette expérience m’a bien montré qu’un plaidoyer efficace repose aussi sur des bases solides en fundraising, un aspect parfois négligé mais essentiel dans les causes sociales et environnementales.
Plus d’informations:
- Publication PBI Suisse Facing Peace, janvier 2025
- Plus d'informations sur le «Paro Nacional»: Colombie: deux ans après les violences policières lors la grève nationale, PBI Suisse, 28.04.2023
- Événement FIFDH - Café des Libertés | Les activistes climatiques face aux multinationales, 15.03.2024
- Alerte: Menaces de mort contre Germán Romero, avocat colombien pour les droits humains, PBI Suisse, 17.04.2024
- Colombie: soutenez le travail de PBI!