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Au Mexique, le Consorcio Oaxaca accompagne les femmes DDH: Entretien avec Emilie De Wolf

Au Mexique, le Consorcio Oaxaca accompagne les femmes DDH: Entretien avec Emilie De Wolf

Emilie De Wolf a été volontaire pour PBI (2010-2011) au Mexique et travaille actuellement au sein de l’organisation mexicaine Consortium pour le dialogue parlementaire et l’équité, Oaxaca (Consorcio Oaxaca). PBI Suisse s’est entretenue avec elle au sujet de la situation à risques des femmes DDH et de l’accompagnement de PBI au Consorcio.

L’organisation a choisi une approche féministe, pourquoi ?

Le Consorcio Oaxaca (CO) a été fondé dans la ville de Mexico, avant d’ouvrir un autre bureau à Oaxaca, en 2003. Depuis ses débuts, l’organisation travaille sur les questions de violence liées au genre telles que les féminicides et la participation politique des femmes indigènes. L’identité du CO est résolument féministe en raison de la situation de violence de genre exacerbée au Mexique et en particulier dans l’état de Oaxaca. Au Mexique, 6 femmes sont assassinées chaque jour. De plus, la violence dirigée à leur encontre devient de plus en plus cruelle en raison de l’utilisation d’armes à feu, de disparitions ou de cas de violences sexuelles.

De plus, les personnes qui dénoncent la violence de genre ainsi que d’autres violences contre les droits humains se voient de plus en plus menacées ; d’autant plus quand ce sont des femmes qui réalisent ce travail de dénonce. C’est pourquoi, il y a dix ans, nous avons commencé à travailler sur le cas des femmes défenseuses des droits humains (DDH), toujours avec cette approche féministe qui fait partie de l’identité de l’organisation. En effet, nous nous sommes aperçues que les femmes activistes sont souvent contraintes d’abandonner leur engagement à cause des menaces ou des attaques dont elles ou leurs proches font l’objet. En plus de leur travail d’activistes, souvent non-rémunéré, ces femmes ont fréquemment un autre emploi afin de subvenir aux besoins de leur famille ; dès lors, en plus des menaces externes, les femmes DDH se retrouvent souvent face à des situations de stress extrême ou encore face à la violence de genre à l’intérieur des mouvements sociaux ; le travail de Consorcio Oaxaca met également en évidence ces problématiques.De plus, depuis 2010, nous faisons partie de l’équipe coordinatrice d’un réseau avec d’autres organisations qui traitent les mêmes questions dans la région : L’Initiative Mésoaméricaine de Femmes Défenseuses des Droits Humains (im-defensoras.org).

En quoi consiste concrètement ton travail ?

Je fais partie de l’équipe de protection intégrale féministe et d’incidence internationale. On travaille sur la question des activistes à Oaxaca qui souffrent des attaques ainsi que sur la question d’analyse de risque, l’élaboration de plans et de mesures de sécurité avec des perspectives différenciées qui incluent, un soutien émotionnel, un travail psycho social, des mesures de protection physique des DDH ainsi que la dimension digitale. Nous travaillons également sur la propre sécurité de notre organisation car depuis 2010, l’organisation qui a été été victime d’entrée par effraction et vols à 11 reprises, soit dans le bureau soit dans les domiciles de membres de l’organisation, dans le double but de soustraire des informations et d’intimider. Mon travail comprend également une partie de plaidoyer international.

Quels changements avez-vous pu observer depuis que le CO est accompagné par PBI?

Le CO connaît PBI depuis longtemps mais elle n’est accompagnée que depuis 2016. Une demande d’accompagnement a été déposé à la suite de l’augmentation du nombre d’attaques envers les DDH et l’organisation en particulier. L’un des piliers de la protection est de faire connaître le travail de l’organisation et le soutien international à ce travail ; car la visibilité que confère un accompagnement par une ONG est un élément fondamental dans la protection des activistes et des organisations de droits humains. Par ailleurs, nous constatons que depuis que nous sommes accompagnées et que des mécanismes internationaux sont activés, les attaques ont tendance à se stabiliser.

Comment expliquer la violence exacerbée dans l’Etat de Oaxaca ? Comment l’organisation la gère-t-elle au quotidien ?

Historiquement, l’état de Oaxaca a vu naître un grand nombre de mouvements sociaux. La plupart de ces groupes défendent leurs droits à la terre/territoire, à l’éducation, les droits de femmes entre autres. Comme leurs revendications touchent aux intérêts politiques, ils sont fréquemment la cible d’attaques directes ou indirectes. Le CO estime que cette violence résulte en grande partie de l’impunité qui règne dans l’état.S’il est vrai que durant les dernières années, au Mexique, ont été mises en œuvre un certain nombres d’avancées au niveau des institutions de protection des DDH notamment au travers de la création d’un mécanisme national de protection ; elles n’ont pas permis de transformer la réalité des personnes défenseuses ni de diminuer les attaques. En réalité, à Oaxaca, le quotidien des DDH est toujours le même car ils ne bénéficient pas de réelles politiques de protection. Au sein du CO, en ce qui concerne la protection des DDH, nous estimons qu’il n’y a pas de recette unique, mais il est primordial de prendre en compte les besoins et la situation spécifique de chaque personne. Pour nous, « le personnel est aussi politique ». Il est important de considérer le/la DDH dans son intégralité, c’est-à-dire, à travers son rôle de mère, son organisation, sa communauté et non seulement à travers son engagement pour les droits humains.

Comment vois-tu ton expérience en tant que volontaire PBI maintenant que tu travailles au sein d’une organisation accompagnée par PBI ?

J’ai été volontaire avec PBI de 2010 à 2011 et cet engagement a été très important pour moi. Avant de partir sur le terrain, j’avais déjà une expérience dans les droits humains mais avec PBI j’ai pu en apprendre davantage sur la méthodologie, notamment en ce qui concerne le travail d’analyse de risque et de protection. Mon poste au sein du CO m’a permis de réunir mon intérêt pour les droits humains et les questions relatives au genre, notamment celles des femmes défenseuses des droits humains.

Le volontariat sur le terrain avec PBI est une expérience formatrice qui permet de sensibiliser largement son réseau personnel à la thématique des DDH menacés. De plus, une fois le volontariat achevé, de nombreuses personnes continuent de travailler dans ce domaine, ce qui montre l’influence de cette expérience forte sur le parcours professionnel.

Entretien réalisé par PBI Suisse en juin 2018 à Genève.