Dina Meza, célèbre journaliste indépendante et directrice de l'organisation ASOPODEHU, a été interviewée par la journaliste suisse Anouk Henry lors du premier webinaire de la série "MEET THE DEFENDERS" proposé par PBI Suisse. Voici les éléments clés de son témoignage, axés sur les restrictions à la liberté d’expression dans son pays ainsi que les risques liés à son travail en tant que journaliste – et en particulier en tant que femme.
Dina Meza est accompagnée par PBI au Honduras depuis 2014. Elle est la directrice de l'Asociación por la Democracia y los Derechos Humanos de Honduras (ASOPODEHU) et présidente de PEN Honduras, une ONG dont la mission est de protéger les journalistes et de défendre leur liberté d'expression. Elle est aussi correspondante de Reporters Sans Frontières et fut nommée en 2014 comme une des « 100 Heros and Heroines of Information » de l'organisation. Elle a également fondé le journal en ligne Pasos de Animal Grande, où elle publie des informations sur les violations des droits humains et la corruption au Honduras. De plus, elle apporte un soutien juridique et éducatif aux professionnels à risque, aux journalistes et aux communicateurs sociaux. Dina Meza a reçu de nombreux prix comme le prix spécial d'Amnesty International UK pour les journalistes en danger en 2007 ou plus récemment, en 2018, le magazine Fortune l'a choisie comme l'une des 50 world leaders de l'année, soulignant son rôle clé pour attirer l'attention internationale sur l'assassinat de la militante Berta Cáceres, ainsi que sur la violence d'État entourant les élections instables de 2017 au Honduras.
Le Honduras, un pays à risque pour les journalistes
Au cours de l’interview virtuelle, Dina Meza nous emmène dans un contexte particulier: la situation au Honduras. Un pays classé 148e mondial par Reporters sans frontières pour la liberté de la presse et dans lequel le contrôle sur l’information est renforcé et les violences contre les journalistes – perpétrées en toute impunité – sont commises par l’armée ou la police militaire. En 2009, la situation empire. Suite au coup d’Etat, les institutions cessent de fonctionner, ce qui complique encore davantage le travail des défenseurs∙euses dans la dénonciation des tortures, assassinats, disparitions forcées et menaces. Des journalistes comme Dina Meza sont régulièrement agressé∙e∙s, menacé∙e∙s de mort ou forcé∙e∙s à l’exil et il arrive aussi que les forces de l’ordre s’en prennent aux familles des défenseurs∙euses des droits humains.
Le rôle des femmes dans la lutte contre les violations des droits humains au Honduras
À travers les nombreuses questions de la modératrice, Dina Meza met l’accent sur l’importance du rôle des femmes qui sont en situation de vulnérabilité dans le pays et qui sont, selon elle, sont les plus à même de pouvoir changer les structures de la société hondurienne. Elle explique que dans son pays, tous les jours des femmes meurent, subissent des violences sexuelles ou des menaces et qu’elle a été touchée de près par des assassinats de collègues. Elle considère que les femmes sont en première ligne de lutte pour les droits humains et qu’elles apportent autre chose lorsqu’elles couvrent des événements en tant que journalistes parce qu’elles ont une fibre fédératrice et qu’elles pensent à la société en général avant leurs propres besoins.
Le recours au journalisme numérique
Suite aux limites posées à la liberté d’expression par le président au pouvoir, la journaliste aux plusieurs casquettes s’est tournée vers le journalisme digital et les radios communautaires pour éveiller les consciences, pour faire des dénonciations et publier les violations aux droits humains. Elle explique aussi que le coup d’Etat qui a forcé les journalistes à opter pour le journalisme numérique a aussi poussé les journalistes à s’organiser en réseaux, ce qui constitue une bonne solution pour que ces derniers prennent conscience de leur liberté d’expression, de la nécessité d’exercer un journalisme rigoureux et de l’opportunité de s’adresser à un public international à travers leurs publications. Ces aspects positifs sont contrastés par le fait que la création d’associations de journalistes indépendants pour contrer le pouvoir du gouvernement sont dépendants de l’acceptation du congrès national pour pouvoir exister.
Autocensure et liberté d’expression en temps de pandémie
À la question posée par Anouk Henry à propos de l’autocensure exercée par les journalistes, Dina répond que l’autocensure existe et qu’à cause du trafic de drogues et de cas de corruption, toutes les institutions sont infiltrées et que les lois qui sont censées protéger les journalistes ne leur permettent pas de s’exprimer librement. De plus, le nouveau Code Pénal entré en vigueur en mai 2020 criminalise l’exercice du journalisme, limite le droit à l’information et la liberté d’expression. Une autre limitation ressentie par les journalistes est la limitation à la liberté d’expression et d’association découlant de la pandémie du Covid-19 qui offre au gouvernement une justification supplémentaire afin de priver le peuple d’informations neutres. De plus, du côté des défenseurs et défenseuses des droits humains, ils se retrouvent empêchés d’accès pour certains territoires. En effet, le gouvernement émet des laissez-passer pour les entreprises touristiques mais les défenseurs∙euses des droits humains ne leur donne pas de sauf conduit, document nécessaire pour leur garantir la sécurité et la liberté de mouvement à l’intérieur des frontières.
Existe-t-il une lueur d’espoir pour la situation des droits humains au Honduras ?
Dina Meza termine son interview en évoquant aussi le rôle de son réseau et l’appui de la communauté internationale. Elle affirme que même lorsqu’elle était en exil en 2013, elle a réussi à créer des réseaux de plus en plus forts afin de continuer à pouvoir exercer son métier. Ainsi, elle obtient de temps en temps l’aide de gouvernements et d’ambassadeurs et les nombreux prix qu’elle a reçus lui permettent de mettre en avant la situation dans laquelle elle se trouve. Enfin, pour tenter de lutter contre l’impunité dont jouit le gouvernement du Honduras, Dina Meza a représenté PEN Honduras le 8 mars 2018 avec un rapport sur la violence contre les femmes journalistes au Congrès américain. Son action a-t-elle eu un réel impact sur la situation des droits humains au Honduras ? Dina Meza conclut en répondant qu’il est difficile d’en mesurer l’impact mais qu’il est urgent d’enfin pouvoir punir les personnes corrompues et juger les trafiquants de ce pays gangrené par la violence. Elle rajoute que chaque étape a son importance dans le changement progressif de la société :
«Une goutte d'eau brise un rocher non pas par sa force, mais par sa constance» («Una gota de agua rompe una piedra no por su fuerza, sino por su constancia»)
Plus d'informations:
- Webinaire #1 "MEET THE DEFENDERS" du 8.03.2021: «Dina Meza, une lutte au quotidien pour la liberté d’expression», PBI Suisse, 15.03.2021
- L'impact du Covid-19 sur les journalistes | Honduras : les journalistes chaque fois plus sous pression, PBI Suisse, 25.06.2020
- L'accompagnement de PBI auprès de Dina Meza | Suisse/Honduras : Entretien avec une journaliste menacée, PBI Suisse, 17.12.2015