Stephen Mwangi a grandi à Mathare, l’un des plus grands bidonvilles de Nairobi où la violence est quotidienne et les violations des droits humains restent le plus souvent impunies. Etudiant en droit de 25 ans, Stephen s’engage depuis 2015 avec le Mathare Social Justice Center (MSJC), où il coordonne les campagnes autour des exécutions extrajudiciaires. Nous lui avons posé des questions sur son travail lors d’un séjour en Suisse.
PBI: Peux-tu nous parler de ton organisation et des campagnes contre les exécutions extrajudiciaires ?
Les violences commises par les forces de police dans les quartiers informels de Nairobi sont une menace perpétuelle pour les populations pauvres et marginalisées. Mon travail avec le MSJC consiste à lutter contre la normalisation de ces violences qui peuvent aller de menaces, vols, viols, agressions physiques jusqu’à des exécutions sommaires. Nous collectons des données sur ces violences pour documenter les faits et les présenter aux autorités. Jusqu’à présent, nous avons répertorié 800 cas entre 2013 et 2017, en notant les noms des victimes et des agresseurs ainsi que les actions entreprises pour réparation.
Les campagnes que nous faisons ont deux buts : changer les mentalités pour contester la normalisation des situations violentes et un aspect légal, consistant à accompagner les familles des victimes au tribunal et obtenir des compensations.
Quels sont vos plus grands défis ?
Par nos démarches, nous sommes nous-mêmes exposés à des menaces et du harcèlement de la part de la police, et le centre a subi des attaques. La lutte contre les exécutions extrajudiciaires est un sujet nouveau et plus le réseau grandira, plus on parlera du problème.
Comment est perçu votre travail par les communautés ? Et par les autorités ?
Petit à petit, les communautés réalisent que le comportement des policiers n’est pas normal et qu’il faut s’unir pour avoir du poids. Les mentalités changent, la population réalise l’ampleur du problème, même s’il est toujours très difficile de faire témoigner les habitants des bidonvilles. En effet, la peur de parler contre la police est très présente et les forces de l’ordre gardent l’habitude de s’en prendre à des individus lorsqu’ils sont isolés. L’envie de témoigner est là, mais la peur des répercussions domine encore, car les policiers n’aiment pas que des plaintes soient déposées contre des collègues.
Par contre le soutien de la population grandit : en juillet, nous avons organisé une marche avec les activistes et les communautés depuis les quartiers défavorisés jusqu’au centre-ville pour déposer une pétition à propos des exécutions extrajudiciaires à l’attention du gouvernement et de l’ONU.
Quant aux autorités, elles ne répondent jamais aux cas individuels. Plus nous reportons des cas, moins elles nous répondent. Par ailleurs, une réforme de la police a été promise depuis longtemps mais pour le moment, rien ne bouge.
Quel est l’apport de PBI dans votre travail ?
C’est un grand soulagement de savoir que des personnes veillent sur vous. L’accompagnement physique est une grande aide, la police est moins encline à nous intimider. Sans compter les nombreux contacts utiles que PBI nous apporte, comme à l’ONU ou avec le gouvernement qui ne nous recevrait pas autrement.
Quelles perspectives pour l’avenir ?
Le MSJC a grandi et des centres similaires ont ouvert dans d’autres bidonvilles de Nairobi comme Kayole et Dandora. Ainsi, les activistes se regroupent et augmentent ensemble leur réseau. Le réseau est un mot-clé : plus il y a de personnes qui se mobilisent contre la normalisation des violences, moins on sera marginalisés. Chacun est bienvenu dans le mouvement, pas uniquement les activistes. Le peuple doit se battre pour ses droits ; les droits humains ne sont pas un privilège. Il faut arrêter de politiser la question et en faire un sujet pour tous. Cela permet également aux personnes de savoir quels sont leurs droits et comment dénoncer en cas de violation.